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13/04/2009

La traversée

Voici deux extraits de La traversée, roman de Philippe Labro dont j'ai parlé ici dernièrement :

 

« Interrogation :

Que deviendront les enfants ? Quel effet pourrait avoir sur eux, à leur âge encore si frêle, la perte d'un parent ?

Comment leurs goûts, leurs rires, leurs amitiés, leur vocation, leurs amours, leur enseignement, leur grâce, leur physique seront-ils affectés par ce départ inattendu ? Tout, chez un être jeune, peut être radicalement bouleversé par cette sorte de fracture. Le deuil inopiné transforme tout, jusqu'au rire, jusqu'aux mouvements des mains, jusqu'au langage des yeux et du corps. J'ai eu la chance d'atteindre l'âge que l'on dit adulte avec un père vivant, une mère vivante. Mon père est mort à l'âge de quatre-vingt-dix ans et cela ne pouvait pas constituer une surprise, un choc. Mon chagrin a été à la mesure de ma préparation. Ce chagrin, et l'idée que je m'étais faite de l'inévitable déclin de l'homme que j'avais aimé, craint et respecté. Le temps m'avait laissé tout le temps nécessaire pour m'accoutumer à l'événement. Je le regrette toujours, mais la peine a été douce, d'une certaine façon. Or, s'il devait, tout à l'heure, se passer quelque chose de fatal, comment les enfants subiraient-ils et vivraient-ils cet inattendu ? Ce à quoi rien ne les a préparés ? »

 

« Après quoi, vous pouvez prendre du recul, vous asseoir face au feu et le regarder.

Dans le spectacle des flammes défile l'éphémère de toute chose et danse l'image même de la vie : belle, multicolore, irrégulière et pointue, tout en montées et en descentes, dangereuse et fragile, insaisissable et pourtant présente, fugace et pourtant concrète, déchirant l'espace et le vide autour d'elle, imprévisible et captivante, blessante et cruelle, parfois hésitante et parfois conquérante, et qu'il faut sans cesse alimenter, renouveler, entretenir, enrichir, soutenir, relancer, et qu'il faut aimer tant que durent les flammes, tant que l'on peut et que l'on doit nourrir les flammes, jusqu'au dernier écho de la dernière braise, jusqu'à l'ultime rougeoiement sous le gris de la cendre, jusqu'à ce qu'il n'y ait plus que de la cendre, encore chaude, et que commence alors, peut-être, l'ultime et véritable traversée. »

 

03/04/2009

La traversée (du désert en ce qui me concerne)

Le 9 février, deux jours après la mort de ma mère, j'étais allée en ville et j'avais éprouvé le besoin de chercher refuge dans les livres. J'étais allée acheter La traversée, de Philippe Labro. Il s'agit d'un livre dans lequel le journaliste évoque ce qu'il a vécu en réanimation, après une grave infection pulmonaire. En lisant ce roman, je voulais plonger au coeur de la réa, savoir un peu ce qu'avaient pu être les derniers instants de ma maman ici-bas... Evidemment, chaque expérience garde son caractère unique, et je ne peux pas affirmer à cent pour cent que ma mère a vécu en réanimation les mêmes choses que Philippe Labro ! Qu'à cela ne tienne, lire ce livre me semblait, en ce triste 9 février (mais, d'ailleurs, quel jour n'a pas été triste depuis son grand départ ?), lire ce livre me semblait être encore un acte d'amour destiné à me rapprocher d'elle, encore et toujours. Je viens de refermer le récit de cette étrange traversée (je l'avais commencé à la mi-mars : pas la force avant)... Philippe Labro a eu la chance de revenir de son long voyage... Au début du livre, il évoque ses morts. Les morts de sa vie. Ils sont tous là et semblent l'appeler. Mais il résiste et, soudain, tout bascule à nouveau dans la vie. Les morts disparaissent, faisant place aux vivants qu'aime Philippe Labro. Et je songe avec tristesse que pour ma mère, ce fut tout l'inverse : peut-être qu'au début, quand elle est arrivée en réanimation, elle a senti l'appel désespéré des êtres vivants qu'elle aimait. Puis, soudain, tout a basculé dans la mort, et ce sont ses parents et tous les autres morts de sa vie qui l'ont appelée plus fermement et plus efficacement que nous. Je repense également à ce triste moment où, rentrant de l'hôpital un soir et écoutant Berry chanter « La chanson d'Hélène », j'avais fondu en larmes. « Ce soir, nous sommes septembre

Et j'ai fermé ma chambre

Le soleil n'y entrera plus

Tu ne m'aimes plus »...

Bêtement, égoïstement, j'avais pensé que ma maman ne m'aimait plus. Et me revenaient en mémoire ces mots de Montherlant : « Nous mourons, quand il n'y a plus personne pour qui nous voulions vivre ». Je m'étais sentie rejetée par celle qui m'avait enfantée... Pire : je lui en avais voulu de m'abandonner.

Aujourd'hui, je me sens toujours abandonnée. Ce n'est pas à ma mère que j'en veux, c'est à la vie. Je suis certaine que ma maman aurait aimé rester plus longtemps parmi nous, je suis certaine qu'elle rêvait de voir grandir ses petits-enfants. Profonde tristesse, immense révolte devant ce point final survenu trop tôt...

Une autre fois, je mettrai ici un passage de La traversée...

 

26/02/2009

Encore une digression

 

C'est vraiment très con, un AVC. Déjà rien que le nom. Barbare. Accident vasculaire cérébral. Barbare, vous dis-je. Et l'abréviation ne l'est pas moins. AVC. Il y a même des gens dont c'est la plaque d'immatriculation !

J'avance pas à pas et lourdement dans ce qu'il convient d'appeler mon deuil. Je fais bonne figure, j'essaie de faire bonne figure. Pour les enfants, pour tous ceux que finiraient par lasser de kilométriques jérémiades (et encore, de ce côté-là, je suis bien entourée, et nul ne m'a jamais fait sentir la moindre lassitude à m'écouter). Pour la vie qui, cette salope, continue quand même. Même si ma maman n'est plus de ce monde. Nul n'est indispensable, dit-on. Mais pour chacun d'entre nous qui perd un être proche et cher, très cher à son coeur, cet être était indispensable. A un certain équilibre. Indispensable à la joie, la vraie, celle qui vous étreint de haut en bas et prend possession de toutes vos tripes. Pour moi, désormais, toute joie sera toujours ternie par ceci : elle n'est plus là. Je ne la reverrai plus jamais. Ni sur cette terre, ni même ailleurs puisque Dieu c'est encore une idée de gosse, un coup de commerce, une immense supercherie. Dieu, s'il existe, mais c'est un foutu monstre, oui ! En définitive, ne vaut-il mieux pas qu'il ne soit pas ? Qui a dit : « Je respecte trop l'idée de Dieu pour le rendre responsable d'un monde aussi absurde » ? Je ne sais plus. Mais quelqu'un l'a dit. Et, comme chante l'ami Renaud, « c'est pas le dernier des imbéciles, celui qui a dit ça » !

Faire son deuil, faire le deuil de quelqu'un, c'est faire mille deuils en somme. Je fais chaque jour le deuil de ce qui fut et ne sera plus jamais. Je fais le deuil de son sourire, le deuil de nos longues conversations, le deuil de nos projets, le deuil de nos envies d'aller prendre l'air à Berlin, le deuil de la mamie de mes enfants. Le deuil du printemps avec elle, à la regarder cultiver sagement son jardin. A sentir le vent frais nous caresser les narines et le soleil nous émoustiller les mirettes. Le deuil de ses coups de folie, quand pour mes filles, elle dansait au milieu du salon. Comme je l'aimais dans ces moments-là ! Comme je me sentais proche d'elle, moi qui suis capable des mêmes folies ! Comme elle me faisait rire, avec ses audaces de grande timide, quand soudain elle faisait un truc auquel personne ne s'attendait !

Mon Dieu (mais pourquoi j'écris « mon Dieu », c'est de la foutaise, je l'ai dit !), comme je suis fière d'elle ! Comme elle a lutté contre la mort pendant presque sept semaines ! Je suis sûre qu'elle n'avait pas envie de partir si vite, si tôt. Sûre qu'elle aurait aimé revoir le printemps, l'été, faire ses confitures, ses bocaux, engranger des provisions pour l'hiver. Et m'en filer plein. Et j'aurais mangé cela religieusement, me lançant dans mes sempiternelles litanies sur la nécessité de manger bio, de manger bien. Chez mon papa (ah oui, il me faut aussi faire le deuil de l'expression « chez mes parents »), il reste je ne sais combien de pots de confiture. Je ne sais pas ce qu'il faut en faire. Regarder les pots sur l'étagère, ne pas y toucher, c'est laisser des traces d'elle encore. Manger la confiture, c'est aller irrémédiablement vers le dernier pot. Et je ne sais pas si je suis capable d'endurer cela... Maman, tu me manques tellement ! Et c'est loin d'être fini...