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10/07/2010

Kunst des Schattenspiels, Luise Rinser

 

Je ne sais plus comment j'ai découvert Luise Rinser. Cela remonte à environ quatorze ans. Depuis, je lis régulièrement les livres de cette femme extraordinaire. J'aime ses romans, mais ma préférence va à ses écrits intimes, à toutes ces pages dans lesquelles elle expose ses questionnements métaphysiques. Luise Rinser était une grande dame. Elle refusa de pactiser avec le NSDAP. Elle fut emprisonnée sous le régime nazi, dénoncée lamentablement par une de ses connaissances d'avoir porté atteinte au moral des troupes. Elle a relaté cette terrible expérience dans un livre magnifique, Gefängnistagebuch (il s'agit du journal qu'elle a tenu lorsqu'elle était incarcérée).

Luise Rinser a vécu avec le compositeur Carl Orff. Elle était très sensible à la musique. Et sensible à tout ce qui l'environnait : les êtres humains, les animaux, les fleurs, les paysages.

En ce moment, pour bien commencer les vacances, je lis Kunst des Schattenspiels, le journal que Luise Rinser tint de 1994 à 1997. Elle y raconte, entre autres, sa rencontre avec le Dalaï Lama. A 80 ans passés, la dame est toujours plongée dans sa quête. Quête spirituelle, quête d'un monde meilleur. Elle parle également de son fils Stephan, mort à 55 ans. Décidément, dans tous les livres que je lis, il est question de deuil. Je ne sais pas forcément à l'avance que les livres que j'achète ou que j'emprunte à la bibliothèque vont me tremper à nouveau le cœur dans ma propre souffrance... C'est peut-être un signe (comme Luise Rinser, je suis « zeichensüchtig » !), signe qu'il faut que je me batte encore longuement en duel avec mon deuil qui n'en finit pas...

Luise Rinser dit aussi son étonnement face à un monde où l'amour n'a pas réellement sa place. Elle se promène en ville et s'étonne de ne voir que des mines renfrognées. Elle s'amuse à sourire aux gens qu'elle croise. Les réactions varient d'une personne à l'autre. La plupart du temps, c'est la surprise en face. Nous sommes si peu enclins à nous aimer les uns les autres (cela me fait penser à la très belle chanson de Souchon, « on s'aime pas »).

Luise Rinser menait une vie « saine ». Elle aimait se promener dans son jardin. J'aime cette phrase toute simple : «Das Leben mit einem Garten, der Umgang mit Pflanzen und Tieren macht leiser ». Et d'expliquer que quand on vit dans une maison avec jardin, on a toujours peur de faire du bruit et d'effrayer les petites vies environnantes : le chat qui dort sur un banc, la grenouille dans la mare, etc. Quelle belle vision des choses ! Quel respect de la vie, humaine ou non ! Chapeau, madame Rinser, pour votre belle âme !

Par bonheur, il me reste encore une cinquantaine de pages à lire de ce beau livre. Un truc chouette aussi : à un moment, dans le journal, on tombe sur quatre pages blanches. On se dit qu'il y a une erreur. Deux pages de trop. Et non : Luise Rinser explique ensuite que ces quatre pages correspondent à quatre mois de silence, quatre mois durant lesquels elle n'a pas pu écrire une seule ligne. Encore une belle idée ! Merci, madame Rinser !

25/06/2010

Widerstand Wirklichkeit / Le voyage dans le passé (Stefan Zweig)

 

Il y a une heure à peine, j'ai renouvelé mon abonnement Haut et fort afin de pouvoir continuer à alimenter le blog Cabaret Sainte Lilith. Ce dernier n'attire plus beaucoup les foules, les commentaires s'y font rares. Seuls quelques fidèles viennent encore régulièrement déposer un salut amical, une pensée, quelques mots au bas des notes (et je les en remercie). Je viens de « resigner » pour un an, mais si je vois que la morne plaine continue de régner sur ce cabaret, je le fermerai en juin 2011. Et que dire alors de ce blog amoureux de l'Allemagne, quasi désert ? Un monologue...
Qu'à cela ne tienne, je reste (stupidement) animée par mes passions et espère toujours les partager avec d'autres (quelle pauvre fille ! Y croire encore après tant de déceptions...).
Bref. Je viens de lire Le Voyage dans le passé, de Stefan Zweig. Le titre allemand de ce court roman (ou de cette longue nouvelle) est Widerstand Wirklichkeit. Mais, pour une fois, j'ai dérogé à ma sacro-sainte règle, à savoir lire les auteurs germanophones dans leur langue d'origine. Cette fois, donc, j'ai lu ce livre en français. Voilà une histoire d'une déchirante beauté. Louis, un jeune homme pauvre, entre au service d'un grand patron. Ce dernier, très content du travail de Louis, l'invite à venir habiter sous son toit. Une étrange cohabitation se met en place entre Louis, son patron et la femme et le fils de celui-ci. Au fil du temps, une relation faite de silences, d'accords tacites, se tisse entre Louis et la femme de son patron. A peine Louis a-t-il émis un jugement favorable au sujet de tel ou tel livre que l'ouvrage vient orner les rayons de sa bibliothèque. A l'origine de tout cela, la femme du patron, donc. Et ce patron est tellement satisfait de son employé qu'il lui offre une promotion : partir deux ans au Mexique, afin d'y faire fructifier ses affaires. Louis est d'abord enchanté à l'idée de partir. Puis, soudain, un horrible malaise s'empare de lui. Il se demande comment il va pouvoir vivre deux ans durant loin de celle qu'il aime. Car oui, il est tombé fou amoureux de la femme de son patron. Et c'est réciproque. Mais trop tard : Louis doit s'en aller. Au Mexique, il compte les jours, attend les lettres de sa bien-aimée, lui en écrit lui aussi. Enfin, il ne reste plus que cent jours à attendre le retour. Il réserve et paie son trajet en bateau. Mais un désastre vient contrarier ses plans : en Europe, la guerre sévit. Louis ne peut rentrer. Il reste donc au Mexique. Les années passent et la triste sagesse populaire qui veut que « loin des yeux, loin du cœur » prouve une fois de plus qu'elle n'a pas tort ! L'amour de Louis s'étiole, s'amenuise, s'épuise au fil du temps. Il se marie. Ce n'est que neuf ans après avoir quitté l'Europe qu'il va y remettre les pieds. Il prévient sa bien-aimée. Qui, entre-temps, a perdu son mari. Louis part la retrouver, mais une espèce de chape de plomb pèse à présent sur leur relation. Leur rieuse complicité d'antan n'est plus ce qu'elle était. Le récit, empreint d'amertume, s'achève sur les extraits d'un bien triste poème de Verlaine, «Colloque sentimental », vous savez, celui qui commence par ces mots :

« Dans le vieux parc solitaire et glacé

Deux formes ont tout à l'heure passé ». Poème sublime sur le fossé qui peut parfois séparer des êtres que tout réunissait autrefois. Et même la façon dont ils considèrent chacun leur histoire passée diffère : « Te souvient-il de notre extase ancienne ? », demande l'un. « Pourquoi voulez-vous donc qu'il m'en souvienne ? », répond l'autre.

Amertume dans le récit de Zweig, amertume dans le poème de Verlaine. Dans les deux cas, les êtres qui se sont aimés en arrivent à ne plus se comprendre. Chez Zweig, les choses sont pires, si je puis dire, car l'histoire n'aboutira jamais pleinement. Louis rêvera de sa belle sa vie durant, mais il ne lui sera pas donné de « consommer », si vous me permettez cette expression un peu triviale. En arrivant au point final de cette histoire, j'ai pensé à ces mots de Duteil : « Et la vie, doucement, referme de ses plis

Ces chemins qui s'ouvraient et qu'on n'a pas suivis ». Ou encore à ceux de Gary : « La vie est pavée d'occasions perdues »... Davon kann ich ein Lied singen, comme disent mes copains allemands !

17/06/2010

Vous avez dit moche, difficile et inutile ?!!

                          

(ci-dessus : portraits de Goethe, Bach, Nietzsche et Schiller)

 

Parfois, ils me dépriment, ils m'usent, ils m'horripilent. Avec leurs jugements péremptoires et leur paresse. Je veux parler de mes élèves, bien sûr ! Des ados, des vrais, qui ne font pas semblant. Qui croient avoir tout vu de ce monde alors que bien souvent ils se sont arrêtés à la contemplation de leur petit nombril. Qui pensent qu'ils révolutionneront la vie entière et que tout le monde pliera devant leur volonté intransigeante.
Des jugements péremptoires, quand on est prof d'allemand, on en entend tous les jours. Et c'est sans appel, l'interlocuteur (mais peut-on encore l'appeler ainsi ?) n'écoutant absolument pas les arguments qu'on oppose à son étroitesse d'esprit.
Ainsi, donc, cet après-midi, j'ai fini la journée en beauté, avec cette gamine pas encore tout à fait sèche derrière les oreilles qui m'a dit : « L'allemand, c'est moche, difficile et ça ne sert à rien ». Prends-toi ça dans les dents ! Constat d'échec pour moi, qui n'ai pas su gagner cette élève à ma cause (perdue d'avance dans bien des cas, il faut quand même le souligner). Mais je ne vais pas sans arrêt me remettre en question. Je suis passionnée par ma matière et bien des élèves le savent, ils me disent que cela se lit sur mon visage quand je fais cours ! Alors tant pis pour les autres. Mais quand même... Ils parviennent toujours à me faire un pincement au cœur... J'en reviens à cette gamine. Non contente de m'avoir balancé ces trois vacheries en une phrase, elle a continué : «Pour résumer, je dirais que l'allemand est une langue de gros beaufs ». Alors là, j'aurais pu l'étriper !!! Je lui ai rappelé sans m'énerver (et c'est un exploit !!) que cette langue de beaufs était la langue d'immenses musiciens, de grands philosophes et de formidables poètes. Et que parfois, en philo, les mots allemands étaient tellement explicites et précis qu'on les utilisait tels quels dans toutes les langues. Ainsi le mot « Dasein ». Magnifique, sublime, gigantesque.

Malheureusement, l'opinion de cette élève n'est pas isolée. Souvent, quand on me demande quel est mon métier, je suis dans mes petits souliers. « Prof », cela va tout de suite susciter des réflexions à la gomme (« ah ben ça va, tranquille, tu es toujours en vacances »). « D'allemand », alors là, on va carrément me déclarer la guerre ! Me dire que j'enseigne une langue barbare. Si, je vous jure, je n'exagère pas. Quand c'est une fille de 15 ans qui vous dit ce genre de chose, bon, on ravale sa colère comme on peut, on se dit que peut-être un jour elle craquera pour un bel Allemand qui lui récitera du Goethe et, ce faisant, la fera chialer de bonheur (!!!). Mais quand il s'agit d'un adulte, c'est moyen. J'étais désespérément nulle en maths quand j'étais élève, je ne voyais pas l'utilité de tous ces calculs bizarres. A quel heure les deux trains vont-ils se croiser ? Ce que je m'en balançais ! Mais savoir comment on disait « train », « gare » ou « quai » dans toutes les langues, ça, oui, cela me fascinait ! Chacun son truc. Mais jamais je ne me permets de dire à mes collègues de maths que leur matière est nulle. D'ailleurs, je ne le pense pas. C'est plutôt moi la grosse nulle qui ai tout raté de ce côté-là. Et c'est un manque au quotidien. Bref, j'essaie d'avoir toujours du respect pour les passions des autres, ne peut-on donc pas me laisser siroter tranquillou la mienne ?

Mais, parfois (j'en reviens à mes élèves), ils me font rire à gorge déployée. Leur spontanéité qui n'est certes pas toujours une qualité peut s'avérer rafraîchissante par moments ! Tout à l'heure, les élèves de 3ème préparaient leur bal de fin d'année et me demandaient de leur conseiller des chansons. Comme je leur disais que je n'avais pas les mêmes goûts qu'eux et n'allais pas pouvoir leur être d'un grand secours, une gamine me demande : « Mais qu'est-ce que vous écoutez en ce moment, par exemple ? » Réponse : « Jacques Higelin ». La gamine en question : « Oh purée, le prénom ! Jacky !!! Mais qu'est-ce qu'il peut bien chanter avec un prénom pareil ?!! Ne me dites pas que vous écoutez Brel aussi ? » Moi : « Si. Et même, je vais vous faire un aveu : j'en écoutais déjà quand j'avais votre âge. J'ai toujours aimé Brel ». Alors, là, ils étaient comme deux ronds de flan !!!!

 

Pour résumer et me présenter, je dirais donc que j'enseigne une langue de beaufs, moche, difficile et inutile et que j'écoute de surcroît des chansons ringardes !!!! Je n'ai vraiment rien pour plaire !!!!