Compteur

Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

16/12/2018

Aufbau Ost, un livre de Claudia Rusch

 

On peut avoir vécu une enfance paisible, voire heureuse, en RDA, et se montrer d'une lucidité rare quant à la nature du régime qui fut à l'œuvre là-bas, de l'autre côté, durant plusieurs décennies. Il s'agissait d'une dictature, ni plus ni moins, et Claudia Rusch ne souhaite pas que l'on utilise un autre terme pour évoquer le système est-allemand. De même, elle ne souhaite pas que l'on fasse commerce de certains objets estampillés Allemagne de l'Est. Elle nous invite à la prudence et à la clairvoyance critique. L'Ostalgie* qui a pu naître des cendres de la RDA est à prendre en compte, mais avec des pincettes. Surtout, ne pas sauter dedans à pieds joints, cela éclabousserait trop fort. Dans Aufbau Ost, Claudia Rusch fait part au lecteur de tout ce qu'impliquait une vie du mauvais côté du Rideau de fer. Son grand-père, opposant au régime, fut emprisonné et mourut dans sa cellule dans des circonstances troubles. Et combien d'exemples identiques, étouffés bien souvent, passés sous le gros rouleau-compresseur d'un silence obligé ? Claudia Rusch se souvient des tentatives de fuite ratées, menant en prison un nombre considérable d'individus. Elle parle également des sentiments contradictoires que pouvait éprouver un citoyen est-allemand lorsqu'il recevait la visite d'un parent de l'Ouest et que celui-ci se mettait à critiquer la RDA. L'Allemand de l'Est se sentait soudain humilié, même s'il savait bien au fond de lui que ledit parent avait raison. Et il lui prenait l'envie, à celui de l'Est, de défendre son pays, malgré tout. Ce que nous dit Claudia Rusch sur 190 pages, c'est qu'une chose n'empêche pas l'autre et que de toute médaille il faut considérer à la fois l'ensemble et les deux faces.

L'Est a mis du temps à se relever de ses innombrables blessures, et les disparités avec l'Ouest ne se sont pas encore tout à fait dissipées. Certaines villes se sont désertifiées, et Claudia Rusch dépeint leur décrépitude avec sensibilité, amitié presque.

Un chapitre m'a passionnée plus que tous les autres : celui dans lequel il est question de Leipzig, ville où je fis une partie de mes études il y a bien longtemps, ville où je fêtai, assez tristement (il faut le dire), mes vingt ans. Leipzig a su rejaillir de ses faiblesses. J'ai été très surprise, il y a quelques mois, en regardant un reportage sur cette ville que je n'ai pas revue depuis 2014 : le commentaire accompagnant le documentaire indiquait que la grande richesse de la cité saxonne, c'était l'entrelacs de ses multiples canaux. De l'eau dans le paysage de Leipzig ? Je n'en avais jamais vu. Je ne comprenais pas. Le livre de Claudia Rusch m'a fourni une explication : ces canaux n'ont été réhabilités qu'à la fin des années 1990. Du temps de la RDA, on les avait soigneusement disciplinés et enfermés dans des tuyaux : leurs eaux étaient tellement polluées qu'il s'en dégageait une odeur pestilentielle, d'où la nécessité de cacher la misère. Lorsque je vivais à Leipzig (entre 1993 et 1995), les travaux n'avaient pas encore été entrepris pour faire ressortir ces canaux des entrailles de la ville. En lisant Claudia Rusch, j'aurais presque eu envie de sauter dans ma voiture et de retourner en ex-RDA, terre qui me paraissait pourtant bien hostile parfois quand j'y vivais et qui, aujourd'hui, m'émeut tant : là-bas, à huit cents kilomètres, dort un pan de ma jeunesse. Là-bas, à huit cents kilomètres, on a su redresser la tête après l'avoir baissée tant de fois. On a su mener une révolution pacifique qui a conduit à la chute du mur de Berlin. Là-bas, comme disait ma correspondante bavaroise, c'est l'Allemagne quand même. Et c'est une Allemagne que j'aime, au moins tout autant que l'autre. Pas foncièrement différente de l'Ouest, pas totalement similaire non plus. Mais l'Allemagne. Avec tout ce que ce pays implique de douceur pour moi.

 

 

*jeu de mots mélangeant Nostalgie et Ost, désignant l'Est.

Les commentaires sont fermés.